Photo © Michel Kolb
Sazjna se targue d’être l’une des premières à avoir emménagé au 107 rue de Reuilly … il y a plus de 40 ans en 1977 ! A l’époque, tous les bâtiments n’étaient pas terminés et pendant une année sa famille a vécu dans un immeuble en chantier. Le 107, c’est un choix de son mari qui avait été séduit par la vue sur le parc arboré de la congrégation de Sainte Clotilde et de son collège. Notre immeuble appartenait alors à une compagnie d’assurances et était occupé par des locataires « paisibles » cadres moyens à supérieurs.
Sazjna (qui signifie belle en
polonais) porte à merveille ses 93 printemps. Elle est née en Pologne et a
émigré en France à l’âge de 4 ans avec le reste de sa famille pour rejoindre
son père. Elle se souvient encore de ce dernier l’attendant avec une pognée de
cerises sur le quai de la gare d’Annemase. Tailleur de métier, il était arrivé en
France deux ans auparavant pour fuir les pogroms et avait ouvert une boutique
dans la petite ville de Bonneville en Haute-Savoie.
Elle apprend alors le français de
façon « foudroyante » grâce, se remémore-t-elle, à l’amitié d’une jeune
amie française avec qui elle joue à la balançoire. Elle sert même de
traductrice à sa famille. Cet amour de la langue française ne la quittera pas.
Elle est la meilleure de sa classe en français et sa copie de composition
française au Certificat d’études, récompensée d’un 20/20, sera même publiée
dans le Journal des Maîtres pour servir de dictée !
La guerre est déclarée, il lui
est alors interdit d’aller à l’école. En 1942, elle a 16 ans et décide de
passer en Suisse avec son frère de 7 ans et sa sœur de 11 ans. Il n’y a qu’un
ruisseau à traverser derrière le vieux cimetière. Son acte courageux fait la
Une des journaux suisses et elle sera invitée à l’Ambassade de Pologne. Ses
parents la rejoignent 3 ans plus tard.
Elle est alors assignée au camp de Lucerne où elle dit avoir obtenu un « doctorat
de raclage à la paille de verre » des parquets du Tivoli Hôteloù elle est
cantonnée.
En 1945, à l’armistice elle s’évade
de Suisse pour revenir dans l’appartement familial de Bonneville.
Elle monte à Paris en 1950 où elle
va rencontrer celui qui deviendra son mari la même année. Même si son époux ne
souhaite pas qu’elle travaille, elle cherche et trouve facilement une place de
secrétaire d’autant plus facilement qu’elle écrit le français parfaitement. Son
patron de l’époque décrète un jour qu’elle doit remplacer la chef comptable
alors qu’elle ne connaît rien à la comptabilité et qu’elle est même plutôt fâchée
avec les chiffres. Elle va se former toute seule et le bilan de cette même fin
d’année sera réalisé comme il se doit ! De gré en gré elle finit sa carrière
chez Cartier pour remettre de l’ordre dans la comptabilité du joailler et
gérera également les affaires privées de son directeur dont un château et son
vignoble.
Elle a occupé sa retraite en
élevant sa petite fille, en s’occupant de son mari malade et en lisant. « J’ai
lu tout ce qu’on pouvait lire », mais une maladie de la rétine ne lui
permet plus d’assouvir cette passion. Elle
dit néanmoins ne jamais s’ennuyer car elle a tellement de choses à penser.
On aimerait, à son âge, avoir sa
vivacité d’esprit et son enthousiasme intact !
© Jean-Jacques Fasquel – 1/10/2018
Waouh !
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